La forêt québécoise comme espace de loisir n’a pas retenu toute l’attention qu’elle méritait de la part des historiens, des ethnologues et des sociologues.
On dispose, certes, d’une riche historiographie en ce qui concerne la traite des fourrures et les coureurs de bois sous le Régime français, alors que d’autres chercheurs ont étudié le mouvement de colonisation et le système agroforestier au XIXe siècle et au début du XXe siècle, incluant la vie dans les chantiers et la drave. D’un point de vue économique, l’histoire de l’industrie forestière dans les différentes régions du Québec a fait l’objet d’importantes recherches et continue de faire débat dans une perspective de développement durable.
Mais en dehors de ces activités économiques, l’accès à la forêt à des fins de loisir fut longtemps réservé à une certaine élite. À partir de quel moment le public a-t-il pu y accéder? Et comment les activités de plein air, de sport et d’observation de la nature ont-elles évolué au fil des décennies qui ont suivi? Voilà les questions auxquelles tentent de répondre les sept articles réunis dans ce numéro.
On ne peut évoquer la forêt québécoise sans établir un lien historique avec les Premiers Peuples qui l’ont habité et parcouru, comme le rappellent Denys Delâge et Fernand Harvey.
On ne peut évoquer la forêt québécoise sans établir un lien historique avec les Premiers Peuples qui l’ont habité et parcouru, comme le rappellent Denys Delâge et Fernand Harvey. Ce rapport millénaire se prolonge dans la modernité et il inclut maintenant le développement du tourisme autochtone. De son côté, Paul-Louis Martin explore les origines de la conservation de la faune et de la forêt au XIXe siècle, tout en revisitant le bilan ambivalent des clubs de chasse et de pêche privés à cet égard. Fernand Harvey prend la relève avec la levée des barrières qui empêchaient le public d’avoir accès à la forêt à des fins de loisir avant les années 1970. Les décennies qui suivent témoignent d’une diversité croissante d’activités liées à l’observation de la nature et aux activités de plein air.
Yves Hébert canalise, pour sa part, l’afflux de vacanciers et de touristes bénéficiaires de cette accessibilité du côté des parcs nationaux et des autres espaces publics qui se sont développés en milieu naturel et qui ont dû s’adapter en conséquence. Étienne Berthold et Anne Bequeret s’attardent au cas de la Forêt Montmorency, véritable laboratoire scientifique créé par la Faculté de Foresterie de l’Université Laval à des fins d’enseignement et de recherche. Ses fondateurs, comme on le verra, n’ont pas oublié pour autant l’ajout d’un volet récréatif pour le public. Quant à Gilles-Gaston Sénécal, il rappelle que l’existence de boisés urbains à des fins de conservation environnementale et de loisir constitue un enjeu important dans la région de Montréal; un mouvement souvent soutenu à bout de bras par des initiatives citoyennes. Enfin, Maude Flamand-Hébert nous propose une incursion dans l’univers littéraire de la première moitié du XXe siècle pour y sonder l’émergence de sensibilités forestières au sein de la société québécoise.
La forêt, il convient de le rappeler, couvre plus de la moitié du territoire du Québec. Ce réservoir forestier de 900 000 km2, soit deux fois la Suède, est l’un des plus vastes au monde. Faut-il se surprendre que les Québécois, qu’ils vivent dans les grands centres ou en région, aient développé avec la forêt des liens multiples qui tiennent à la fois de l’observation, du désir d’activités multiples et de la délectation, tout au long de leur histoire?
En ce XXIe siècle où la forêt est en voie de rétrécissement ou de disparition partout dans le monde, victime de l’incessante croissance urbaine, de méga-feux de forêt liés aux changements climatiques, de conversion en terres agricoles et de coupes abusives au profit de l’industrie, il importe de prendre conscience de ce précieux patrimoine naturel à conserver. La forêt québécoise avec sa faune et sa flore, ses montagnes, ses lacs et ses rivières, doit s’inscrire dans une perspective de développement durable pour qu’elle puisse encore par sa polyvalence nous offrir un espace de loisir inestimable.
Fernand Harvey